Le point de non retour (Gabriel)

Cela faisait quelques jours que j’avais largué la partie encore vivante de mon pseudo groupe pour, comme à mon habitude, prendre la fuite. La froideur de ses mains sur mes épaules, tentant de tirer les vêtements usés qui m’habillaient me revenait sans cesse en mémoire, une boucle impossible à fermer. Je n’avais que très peu dormi depuis car, seule au milieu de nulle part, il est difficile de se repérer. Mes sens en alerte, je n’avais pas mené la marche jusqu’ici, coutumière des rues de Charlotte, que je connaissais par cœur. Evidemment, j’avais acquis de nouvelles compétences lors de mon escapade loin de la justice, apprenant à me débrouiller avec une carte entre les mains. Le souci ? Ils l’avaient gardé et je n’avais eu décemment pas le temps de fouiller dans leurs affaires pour m’emparer de quelque chose de plus utile que des vivres, mon duvet et autres babioles. Je maudissais ces hommes qui se pensaient au-dessus de l’amitié, ceux qui se pensaient au-dessus du respect et je me détestais encore plus pour le chantier qu’était ma vie. Un corps de ferme se dressait à l’horizon tandis que les Rocheuses se lisaient assez loin. Des bruits suspects émanaient d’un peu partout autour de moi et la chaleur étouffante envahissait l’espace. J’avançais depuis maximum deux trois jours, j’avais presque épuisé mes rations d’eau mais j’avais encore un bon stock pour me nourrir, garante des vivres dans notre trio à la noix. Je visualisai une sorte de clairière, sortie des bois épars où je me trouvais. Je finis par sortir de mon point d’observation pour me hisser sur ces rochers formant un cercle à côté de la pseudo jungle que je laissais derrière moi. Peut-être y aurait-il de l’eau là-bas ? La voie avait l’air dégagé alors, je trainais ma carcasse jusqu’au rendez-vous de promesses déjà brisées, avortées et piétinées. Là, la porte s’ouvrit sous mon coup de main expert pour ne pas faire trop de bruit alors que je tenais bien fermement le harpon entre mes doigts fatigués. Je devais avoir des cernes de dix kilomètres moi qui mettais un point d’honneur à toujours paraitre opérationnelle et en forme avant. La Cassie d’avant secouerait fortement la Cassie d’aujourd’hui afin de la faire réagir si elle la voyait mais la Cassie d’aujourd’hui n’avait plus envie de se battre contre des fantômes, ni pour des fantômes, elle préférait penser à elle. Ainsi, pendant que je farfouillais dans les placards de la cuisine tentant en vain d’éloigner ces images qui meurtrissaient mon esprit, du bruit se fit entendre à l’extérieur. J’ouvris à la hâte un placard assez grand pour que je puisse m’y engouffrer et retins ma respiration, mon arme précieusement lovée contre moi.

Les bruits s’intensifient et la peur me serre au ventre. J’avais déjà vécu pareille situation mais aujourd’hui, j’étais seule, sans ces malfrats pour faire barrage, sans ce groupe réduit qui savait réellement se défendre. Il aurait été aisé de faire demi tour et les rejoindre, mais se jeter ouvertement dans la gueule du loup, ça n’avait jamais été une option. Il ne m’aurait jamais laissée réintégrer l’équipe sans des compensations, compensations que je n’étais prête à offrir à personne. A part du venin, rien de bien sympathique ne sortirait de ma bouche ou de mes gestes. Je tremblais, la peur me prenait aux tripes et, si j’avais pu, j’aurais serré tellement fort mon harpon que mes doigts en auraient saigné. Mais ce ne furent point des râles ou autres sons caverneux qui montèrent mais bel et bien une voix humaine, une voix humaine qui faisait écho à des souvenirs passés en moi. Ayant rejeté toute mon ancienne vie pour ne me concentrer que sur le présent, des images se reformaient derrière mes yeux désormais fermés. Là, l’image de cet homme trahissait une silhouette que je connaissais, que j’avais connue et qui ne me voulais pas de bien. Il cherchait une amie bien, mais que ferait-il d’une ennemie ? Il me pensait coupable, j’avais tenté de démontrer mon innocence…en vain. Pourquoi cela serait-il différent avec lui, habitué à traquer la vermine ? Il était le sauveur et j’étais la coupable, la pyromane qui avait tué. Ca ne pouvait être que lui. Néanmoins, la déshydratation et le manque de sommeil pouvaient me jouer des tours. Alors, du bout du harpon, j’ouvris lentement la porte du placard, éblouie par la lumière. Mes sens ne me mentaient pas, il se tenait face à moi. Je gardais pourtant l’arme face à lui, prête à m’en servir en cas d’extrême nécessité : « Ton amie n’est pas là. Tu ne m’as pas aidée avant alors pourquoi tu le ferais maintenant ? » lançai-je, le regard méfiant en le détaillant des pieds à la tête. « C’est facile de jurer au milieu de nulle part, d’autres m’ont fait les mêmes promesses avant. Comment tu m’as trouvée ? » furent mes derniers mots avant que les murs ne tanguent étrangement autour de moi et que je doive me rattraper au plan de travail.

La fatigue, l’épuisement, la colère, le manque des miens, tant de choses se bousculaient aux portes de mon esprit. Je faisais souvent confiance, souvent à raison, parfois à tort. Je n’avais pas envie de récidiver et, en même temps, j’étais charmée par sa proposition. Mes sens ne m’étaient plus d’un grand secours et seule, je ne parviendrai qu’à me mettre plus en danger. En réalité, j’avais beau crier que j’étais innocente, nous étions tous coupables aujourd’hui, coupables du ravage qui hante nos terres. Je ne lui en voulais pas réellement à lui mais il participait à la haine que j’éprouvais désormais envers le genre humain, celui qui m’a condamnée, confondue avec une meurtrière. Lasse, je lui jetai un regard de travers, cherchant la sincérité dans ses paroles. Elle y était, comme elle était chez mon collègue et comme elle était chez ces hommes qui avaient voulu faire de moi leur proie. Néanmoins, il avait lâché son arme tandis que j’avais resserré l’étreinte de la mienne. Je posai ma main sur le rebord de la table, appui évident et serrai celle de Gabriel de toutes mes forces en finissant par : « Le mal, il a déjà rongé ce monde. Tu pourrais me faire quoi de plus ? Si tu me la fais à l’envers, je viendrais te hanter ou te bouffer » ironisai-je sans pourtant avoir envie de rire. « J’ai pas envie de parler avec toi. Disons que je ferai semblant de t’écouter pendant que tu me donneras à boire ? » fut la proposition que je lui lançai. Je cherchai son regard de mes yeux vacillants, je ne mentais pas. Je ne fuirai pas, je ne risquerai pas de l’attaquer car je laissai tomber mes deux armes au sol dans un bruit assourdissant. J’en avais assez de lutter pour une vie misérable et, quelque part, la petite part de moi-même enfouie sous cette carapace qui n’est pas habituelle, j’avais envie de le croire. Cassie n’était pas réellement morte après ces épreuves, elle était probablement toujours là. Pourrait-il la déterrer ?